J'ai donné rendez-vous à l'un d'entre eux dans un café. Il a le même nom de famille que moi, arrivé ici quand il avait 6 ans, sans papiers. Un anglais parfait, des études universitaires, un bon boulot. Comme moi, il vient à ses rendez-vous avec un carnet de notes. Il m'apprend que depuis 2001 un projet de loi bute et bute encore sur le Congrès, un projet dont l'acronyme s'épelle D.R.E.A.M. qui propose de régulariser, sous certaines conditions, les jeunes adultes entrés illégalement aux Etats-Unis avant l'âge de 18 ans. Prenez au hasard 100 Américains dans la rue : en moyenne l'un d'entre eux est un DREAMer. Il me confie qu'en 2012 le président Obama avait signé un décret pour empêcher l'expulsion d'une partie d'entre eux, mais que le nouveau gouvernement cherche désormais à l'abroger.
Antonio (qui me décrit l'affiche qu'il a collée sur son cahier, une photo prise par Arlene Majorado, retravaillée par la palette de Shepard Fairey et reprise par plusieurs associations militantes lors de la Marche des Femmes du mois dernier) : J'adore le visage déterminé de cette fille, il me donne du tonus pour la suite. Sur sa poitrine, c'est l'Aigle au serpent qui est un mythe fondateur du Mexique et qu'on voit sur le drapeau, mais j'aime bien l'idée que c'est aussi l'Aigle de mon nouveau pays. Et puis dans ce mot de DREAM, j'y lis toujours celui de MADRE, et c'est important pour moi, parce que ma mère elle a sacrifié la sienne pour parier sur ma nouvelle vie ici.
Moi (dont l'oeil est attiré par la symétrie avec un autre visage aux cheveux ondulés, piètre égérie verte des gobelets) : Merci de m'ouvrir les yeux sur tout ça. Tu sais, depuis que j'ai la chance de vivre ici, je me dis que San Francisco n'est pas exactement une ville de rêve, mais par contre j'ai compris maintenant que c'était une ville de rêves. Comme une concrétion de toutes ces promesses que les immigrés sont venus chercher, génération après génération, ceux qui fouillaient la terre pour de l'or, ceux en quête de liberté totale, ceux qui veulent maintenant bâtir des mondes numériques. C'est de tous ces rêves-là que San Francisco est faite.
Antonio (même si ce n'est pas son vrai prénom, car il préfèrerait ne pas...) : C'est drôle, ce que tu dis me fait penser à une oeuvre d'art que je contemple sur une colline au loin, presque tous les soirs depuis chez moi, ce simple mot de rêve qui palpite et qui me donne de l'espoir. Je crois que tu devrais aller y faire un tour.